André Comte-Sponville*
“J’ai horreur de Noël, du Nouvel An, de tout ce cérémonial des Fêtes! Ces réjouissances à date fixe ont quelque chose d’exaspérant et d’angoissant tout à la fois. Mais quoi?
Bien sûr, il y a l’étalage du luxe, la débauche de nourritures (et les plus chères! et les plus lourdes!), avec ce que cela supposa d’indélicatesse ou d’indifférence vis-à-vis de ceux que la misère tient éloignés du festin, les enfermant, plus cruellement sans doute que jamais, dans la frustration. Une telle injustice, si complaisamment étalée, semble donner raison aux casseurs de nos banlieues, en tout cas elle aide à les comprendre.
Il serait indispensable que certains mangent du caviar et d’autres des oeufs de lump (et d’autres rien: combien d’enfants morts de faim?), quand bien même il serait inévitable que ce soient toujours les mêmes qui s’empiffrent ou se privent, est-il indispensable aussi que l’opulence s’étale à ce point?
On m’objectera que Noël reste la fête des enfants. En effet. Cela fait deux mois qu’ils nous cassent les oreilles avec leus Père Noël ou leurs cadeaux, deux mois qu’ils sont dévorés par le manque, deux mois qu’ils attendent, pour être heureux, que ce soit enfin Noël! Quelle curieuse leçon d’existence nous leur donnons, qui laisse entendre que vivre c’est attendre et recevoir, quand nous savons bien, nous, les parents, que c’est l’inverse qui est vrai! Aucun cadeau n’est le bonheur, ni rien de ce qu’on attend ou reçoit, mais cela seulement qu’on fait ou qu’on donne, et point en cadeau, puisque l’essentiel de ce qu’on peut offrir, personne, jamais, ne pourra le posséder. Nöel, l’idéologie de Noël, est devenu comme un résumé des erreurs dont if faudrait débarrasser nos enfants.
Le mensonge sur Père Nöel – le premier mensonge, souvent, que nous faisons à nos enfants – résume tous les autres. Nous ne cessons d’enjoliver la vie, du moins nous essayons, et cet optimisme mensonger est plus triste encore que ce qu’il essaie, avec un succès inégal, de nous faire oublier. (…) Puis ce bonheur imposé! Pendant dix jours, toute la bêtise médiatique va nous seriner son optimisme de commande, et il faudra être joyeux par force! Quoi de plus triste que de lire sa joie dans le calendrier?”
COMTE-SPONVILLE.
Le Goût de Vivre
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Do livro “Le Goût de Vivre” (pg 20-23)
Fonte: http://acasadevidro.com/tag/andre-comte-sponville/
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